Personne ne peut contester, évidemment, ces deux affirmations, qui sont de la même évidence que celles qui professent que la Terre est ronde et qu'elle tourne autour du Soleil. Mais réaliser un film sur des évidences est un exercice scabreux. Et laborieux, en l'espèce.
Le jeune Peter Frye (Dean Stockwell), orphelin de guerre, arrive après plusieurs années d'errance dans des familles d'accueil, au foyer de Gramp (Pat O'Brien), brave et médiocre artiste de music-hall, au cœur absolument généreux, qui parvient à apprivoiser un gamin écorché vif qui n'a pas encore compris que ses parents ne reviendront jamais le choyer. Gramp possède le don inné de rassurer, d'apaiser, de calmer les angoisses d'un petit garçon qui a été jusqu'alors ballotté de partout. Et le meilleur du film est sans doute cet apprivoisement, la façon dont Gramp explique à Peter qu'il n'a rien à craindre de l'obscurité, si redoutée de tous les enfants du monde, puisque Il n'y a rien de plus dans le noir que dans la lumière. Jusque là, nous sommes dans un récit gentil et un peu languissant. Et puis voilà qu'un jour sans aucune raison, Peter, après un shampoing dans son bain se retrouve doté de cheveux d'un vert particulièrement criard. Lui qui était regardé avec un certain émoi par les gamines de sa classe devient le souffre-douleur du fait de sa différence, comme on dit aujourd'hui. Le film de Losey date de 1947, année de ma naissance ; mais je peux bien proclamer Urbi et Orbi que dix ans après, si un de mes camarades était arrivé au lycée avec une coiffure aussi ridicule et aussi voyante, il aurait été pareillement moqué et sans doute aussi tolchoqué. Pourquoi ? Non pas du fait d'un racisme ou d'une méchanceté intrinsèques, mais parce que l'enfance est en soi cruelle et n'aime pas les différences. C'est particulièrement injuste et particulièrement ancré. On pleurniche désormais sur ces évidences.Il y a pire, dans le film : un prêchi-prêcha pacifiste, d'une incommensurable niaiserie : tous les petits enfants victimes innocentes de la Guerre, des déplacements de population, de la cruauté des grandes personnes se dressent pour protester vigoureusement et mettre les conflits hors la loi. C'est à ce moment là que les gens sérieux décrochent et se rappellent, en riant dans leur barbe, que c'est le petit père des peuples, le bienveillant Josef Staline qui était derrière tout cela.
Film étrange et déroutant, réalisé par Joseph Losey en 1948… Plusieurs thèmes sont croisés : le droit à la différence, le regard de l'enfance sur le monde des adultes, le pacifisme au sortir de la seconde guerre mondiale. Croisement aussi des conventions hollywoodiennes de forme et de fond de la fin des années quarante, et du style d'un auteur européen préoccupé par des sujets politiques et sociaux. A comparer avec Le chant du Missouri (1944) typiquement américain, et Allemagne année zero de Rossellini (1948), typiquement européen. Le garçon aux cheveux verts semble être à mi-chemin de ces deux long-métrages, par le sujet et le traitement de celui-ci. Ce n'est pas un grand film, à mon avis, mais original et bien fait (belle photographie, mise en scène efficace), il mérite d'être découvert.
Page générée en 0.0030 s. - 6 requêtes effectuées
Si vous souhaitez compléter ou corriger cette page, vous pouvez nous contacter