Plongée à l'intérieur d'une schizophrénie jalouse, comme on l'a beaucoup écrit, ou broderie haletante sur une frise de réalités ? Va savoir ! Ce qui est importe, chez Lynch, ce n'est évidemment jamais le montage scrupuleux d'une histoire où l'on découvrirait, en fin de compte, une réalité à usage unique, mais une série d'expériences usantes, épuisantes, violentes qui laissent les nerfs à vif et l'insatisfaction à l'esprit.
En fait le saxophoniste tue vraiment sa femme de jalousie et se voit condamné à la chaise électrique; lorsqu'il se fait foudroyer il revoit sa vie défiler à toute vitesse mais il ne peut pas reconstituer exactement sa vie, donc l'on voit qu'il s'invente un autre personnage, une autre vie… Lorsqu'il y a le gars bizarre qui lui dit qu'en Orient les gens ne savent jamais lorsqu'ils se font tuer pour la peine capital, cela veut dire qu'il s'est fait foudroyer lorsque il avait des migraines… Le truc inexplicable est le fait qu'il arrive à revenir en arrière dans l'histoire… cela incluerait une machine à remonter le temps.
Chez Lynch, on peut également évoquer la direction d'acteur qui est souvent remarquable. Elle l'est ici certainement, et il suffit de voir le jeu de Bill Pullman pour en être convaincu, à la fois beau et dur, au regard qui dégage tout sauf de la sympathie. On sent en lui la paranoïa à fleur de peau et on ne s'étonnerait pas de le voir sans raison, basculer dans une folie destructrice… ce qui ne manquera pas d'arriver dans le film. Joli performance donc, d'une grande crédibilité, sauf peut-être quand on le voit "jouer" de la musique.
L'autre comédien marquant est l'étonnante Patricia Arquette qui est utilisée avec moins d'originalité par son réalisateur comme une Vamp avec cette idée d'une sexualité sauvage et destructrice (le fameux vagina dentata, fantasme répertorié depuis des siècles!) qu'aucun homme ne peut combler.Chez Lynch, on peut également être admiratif de la mise en scène. Elle est ici totalement maîtrisée réussissant justement à donner aux comédiens une réelle présence, à l'histoire une tenue impeccable d'autant plus réussie que l'histoire est quasi incompréhensible et à l'ambiance sa force et sa puissance.
Mais comme souvent, chez David Lynch l'histoire est obscure. "C'est bien mais qu'est-ce que ça raconte" semble être la phrase la plus naturelle au sortir de ces films.
Une chose est sûr dans ce film c'est qu'il s'agit d'une variation sur le thème de la jalousie. Le personnage incarné par Bill Pullman est clairement un paranoïaque, jaloux de sa femme, convaincu qu'elle le trompe. Sa folie va s'incarner par des fantasmes qui sont traités en autant de "dérapages" narratifs, qui sont comme des crises de déréalisations, des crises psychotiques. C'est le cas des cassettes vidéos. Sa paranoïa aboutit au crime lui-même déréalisé, dématérialisé.
Jusque là, pourrait-on dire, tout est clair, même le personnage du "diable" qui est une sorte d'incarnation du Diable qu'on a tous en soit, cet Alien, ce "ça" que Freud a conceptualisé, ce "ça" qui est souvent plus fort que moi.
Ensuite, comme souvent chez Lynch (et revoir Lost Highway après Mulholland Drive est assez éclairant), le film redemarre dans sa seconde moitié, changeant de personnage (qui n'est en réalité qu'une autre facette du même personnage). On reprend une autre histoire, celle d'une histoire d'amour entre un jeune homme et la "blonde" d'un mafieux. La blonde aimerait partir avec le jeune mais pour acquérir cette liberté, il faut tuer le mafieux. Le canevas est un cliché hollywoodien (Lynch aime y puiser) et permet de construire avec encore plus d'évidence la duplicité féminine et ce n'est pas pour rien que Patricia Arquette y joue également le rôle. Le tout finit par le meurtre du Mafieux, figure évidemment paternel, haïssable.Juste au moment de ce passage à l'acte, Bill Pullman "reprend" sa place dans l'histoire. Il commet ce crime tout en étant un autre, tout comme comme un autre a commis le premier crime sans être lui.
On est encore là encore dans le pure délire psychotique.
Le film est au fond une sorte de "démonstration" empirique et intuitive d'une figure paranoïaque : la jalousie maladive, destructive qui n'est qu'une forme détournée d'une haine/amour homosexuel mortifère pour le père.
Dire qu'on avait demandé à Freud s'il pensait que le cinéma pouvait traiter de la "chose" psychanalytique. Il avait répondu que non… Il est vrai que David Lynch n'était alors même pas encore né…
Partons d'une évidence : Lynch explore le monde intérieur (inconscient) de l'homme à la recherche de vérités que les scientifiques recherchent dans le monde extérieur. Ce film qui exprime l'angoisse qui saisit devant la mort d'un couple est composée comme une boucle. D'abord, nous avons le constat : Renée et Fred – qui se sont aimés – vivent désormais à côté l'un de l'autre dans la conscience de leur échec. Fred, suite à une rencontre lors d'une fête, a la possibilité d'aller dans le passé de Renée et s'aperçoit de sa responsabilité. La deuxième partie du film présente un Fred métamorphosé en Pete et une Renée devenue Alice et, à la fin de cette variation, on revient au point de départ.
Je suis bien conscient que ces quelques lignes ne sont qu'une esquisse…
Je n'ai toujours pas compris le film, mais j'en ai plus compris la seconde fois. Peut-être un jour ce film sera un de mes films préférés. En tout cas, je le recommande si vous avez aimé Twin Peaks, qui est moins abstrait et tout aussi fantastique.Patrice Dargenton (Mon site)
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