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Puanteur des coupe-gorge


De Impétueux, le 27 décembre 2023 à 16:51
Note du film : 3/6

Finalement, ce n'est pas mal du tout, si l'on accepte de passer sur des travestissements sur quoi je reviendrai. Mais je me méfiais plutôt de l'étiquette portée par André Hunebelle, artisan d'un cinéma français de divertissement plutôt inférieur à la moyenne et qui surtout, à mes yeux, a profané l'admirable personnage de Fantômas en réalisant toute une série déshonorée par les glapissements de l'histrion Louis de Funès, série qui a connu un succès considérable, ce qui montre, s'il en était besoin, que le mauvais goût est de toutes les époques. Je suis pourtant conscient d'être un peu injuste, faisant mine d'oublier quelques réussites dans le genre historique (Le Bossu, Le Capitan, Le miracle des loups), voire de braves petits plaisirs du samedi soir (Monsieur Taxi, L'impossible Monsieur Pipelet), par exemple.

Tiens, voilà un nom, Pipelet qui s'est longtemps attaché ironiquement au métier de concierge, aux temps où il y en avait encore et qui est, en fait, une création ex nihilo ; car c'est bien Eugène Sue qui a créé le personnage dans son gigantesque roman, Les mystères de Paris publié en 1842 et 1843 et qui connut d'emblée un tel succès que le romancier, qui voulait se maintenir dans l'écriture de deux brefs volumes fut contraint, par le triomphe remporté, d'en écrire dix. Au siècle roi du roman, contemporain de Balzac, Stendhal, Théophile Gautier, Dumas, voilà qu'Eugène Sue ne dépare en rien le paysage, d'autant que l'écrivain fera peut-être encore mieux, dans la continuité des années suivantes avec Le Juif errant, à mon sens encore de plus vaste inspiration.

Il n'était pas concevable, dans le format restreint d'un film de moins de deux heures, de restituer en totalité les aventures incroyables, les péripéties compliquées, les hasards invraisemblables, les épisodes foisonnants du roman. Et de fait les adaptateurs (ils s'y sont mis à trois : Jean Halain, Pierre Foucaud, Diego Fabbri) ont très largement émincé, élagué, sarclé, émondé l'intrigue ; rien que de normal, au demeurant ; ils l'ont tout de même passablement travestie puisque les deux héros, le chevaleresque prince Rodolphe (Jean Marais) et la douce malheureuse et ravissante Fleur-de-Marie (Jill Haworth) connaîtront, in fine, les douceurs de l'hyménée alors que dans le roman la jeune femme est la fille cachée de Rodolphe et qu'elle finira ses jours en abesse d'un couvent ! On voit là les grandes libertés prises.

Cela étant – notre cher ami disparu Tamatoa a bien raison de l'indiquer – l'essentiel, dans une adaptation n'est pas la scrupuleuse fidélité à l'œuvre originale dont elle est tirée mais l'agrément que peut trouver le spectateur à la présentation qui lui est faite ; et de ce point de vue André Hunebelle n'a pas raté son coup et son film est bien agréable à suivre. Il y a des moyens, des décors, de la lumière, un rythme qui ne faiblit pas.

Je ne suis guère amateur du jeu toujours un peu coincé et des mâchoires virilement arborées de Jean Marais, mais il était à cette époque, 1962, au sommet de sa renommée et sans doute de son petit talent. Surtout Les mystères de Paris fourmillent de ces acteurs de seconds rôles, voire de complément qui, je me répète souvent là-dessus, forment l'essence, la chair, l'armature du cinéma : ceux qui n'apparaissent que quelques minutes mais dont reconnaît la physionomie, la voix, la dégaine, qu'on retrouve comme de vieux amis.

On en a là tout son content : seconds rôles ? la ravissante Dany Robin, les toujours remarquables Raymond Pellegrin et Pierre Mondy

Plus effacés, voire en silhouettes, Paulette Dubost, Madeleine Barbulée, Maria Meriko ou Noël Roquevert, Georges Chamarat, Jean Le Poulain et en ombres Gabriel Gobin, Guy Delorme, Henri Lambert, Bernard Musson

Quelle richesse avait le cinéma français en ces années-là !

Mélodrame à ressort, qui se joue entre l'opulence des belles demeures de la Monarchie de Juillet et les bouges crapuleux, les taudis terreux du Paris d'avant Haussmann, film qui ne manque pas de brio ; le bon cinéma moyen du dernier siècle.


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De Tamatoa, le 23 juin 2014 à 14:06
Note du film : 4/6

Oui, les Mystères de Paris a été édité depuis lurette et c'est tant mieux.. Marais donne à ce film une extraordinaire dimension dans le sale et la puanteur des coupe-gorge. Le mélo est là, assurément. Et colossal, coupant le souffle avec la brutalité en couleurs et des éclairages violents. Avec ses héros campés sans ambiguïté dans la noblesse ou dans l'atroce ; Mondy, l'immense Mondy est un chourineur de première et se fond dans Paris et ses mystères : les bouges, les souterrains, les égouts, les caves… Un Paris disparu des esprits mais qui fut, un Paris gangréné par une époque où la misère était le seul emblème de cette capitale bouffée par la lèpre de la prostitution. Loin de l'époque des lumières, ce Paris là puait comme la noblesse qui venait s'y encanailler. André Hunebelle fait bouger tous ses rats de bonne façon. Sans en rajouter dans l'outrance. Pour la noblesse, honteuse et repentante, Jean Marais joue sa partition sans grande surprise. Il y est bon. Le grand blond style aryen qui faisait se pâmer Cocteau et Arno Brecker comme dit le jaloux Impétueux, nous concocte un Rodolphe de Sombreuil de bonne facture, peut-être pas très fidèle au personnage du livre d'Eugène Sue (pourquoi l'avoir affublé d'un autre patronyme ?) mais sûrement plus adapté au cinéma de l'époque. Plus bondissant, et peut-être moins gnan-gnan. Les spectateurs ne sont pas toujours forcément les lecteurs et ce sont les premiers qu'ils faut contenter.

Et puis le film est très épuré par rapport au bouquin, ce qui peut se concevoir aisément car, si ma mémoire est bonne, certains passages du livre sont interminablement ennuyeux. Je n'ai que très peu de souvenirs de la version de Jacques de Baroncelli avec Marcel Herrand et ne peux donc pas faire de comparaisons. Je me contente donc d'apprécier cet opus qui mérite toute notre attention. A l'époque, les cinéphiles du samedi soir, amateurs de skis à la vanille ont du trouver leur content d'aventures et, en cela, Hunebelle a réussi son pari. Le bouquin d'Eugène Sue, trônant sur les tables de nuit a peut-être eu vent de ce qu'en avait fait le réalisateur du Bossu ou du Capitan. Mais l'attention portée sur le vélin dans la clarté doucereuse d'une chambre à coucher est une chose, celle exaltée dans une salle obscure en est une autre…


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