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Estimé par les cinéphiles, méconnu du grand public


De DelaNuit, le 19 février 2017 à 18:26
Note du film : 5/6

Curieux mélange des genres que cette « Affaire étrangère » (« Foreign affair » selon le titre original) de l’anticonformiste Billy Wilder, sortie en 1948. D’un côté, une bluette légère entre une députée américaine de l’Iowa un peu coincée (Jean Arthur) en visite dans l’Allemagne de l’immédiat après-guerre et un capitaine de l’armée (John Lund)… et d’un autre côté la présence impérieuse, tragique autant qu’ironique de la grande Marlène Dietrich en chanteuse aux anciennes relations nazies vivant désormais d’expédients – la « scandaleuse » du titre française, c’est elle – parmi les ruines de son monde dévasté.



Et pas n’importe quelles ruines : celles de Berlin, offertes à la caméra, ce qui donne parfois au film des allures de documentaire. Etrange façon pour le réalisateur Billy Wilder de renouer avec la ville de sa jeunesse devenue méconnaissable, morcelée et occupée par les alliés. Au lieu de pointer d’un doigt accusateur les crimes de l’Allemagne nazie ou les dévastations sur la ville et sa population, il nous présente à son habitude un monde ambigu en demi-teintes, où l’humour noir le dispute au tragique, où les comportements des vainqueurs ne sont pas irréprochables et les vaincus terribles et pathétiques tentent de conserver un semblant de dignité parmi les décombres. En témoigne l’activité du marché noir où chacun trouve son intérêt, à l’ombre de la porte de Brandebourg.

Marlène Dietrich refusa d’abord le rôle, ne voulant pas jouer une chanteuse anciennement amie des nazies, elle qui avait au contraire fui l’Allemagne pour ne pas cautionner ce régime… puis se ravisa devant l’intérêt du personnage, ouvertement le plus sympathique aux yeux du réalisateur, bien loin du manichéisme. Marmoréenne, hautaine, mais secrètement blessée, elle a rarement été aussi émouvante que dans les trois chansons qui lui sont offertes, susurrant au public de son cabaret des paroles ironiques teintées d’amertume.

C’est bien-sûr la chanson « Black Market » où elle décrit les activités illégales mais tolérées du marché noir, thème repris dans « Take my lovely illusions » où elle liste tout ce qu’elle est prête à vendre pour survivre : « Prenez mes belles illusions, usées mais comme neuves, je solde tout pour quelques sous, elles vous feront de jolis souvenirs… » Et bien-sûr la chanson de la scène finale, dont les couplets sont tour à tour en anglais, allemand et français : tandis qu’un ancien nazi s’approche dans l’ombre parmi les clients, arme à la main pour lui régler son compte, Marlène, hiératique, se tient droite dans sa robe moulante, idole d’ombre et de lumière, égrenant des paroles de peine et d’espoir fascinant l’assistance : « Dans les ruines de Berlin, des arbres en fleurs parfument ton chemin… Quand dans la nuit les démons les fantômes resurgissent, te frôlent de leur ombre… Alors tu réalises enfin que les fantômes s’évanouissent au matin, un nouveau printemps peut fleuri parmi les ruines de Berlin ! »

A voir autant pour le talent de Billy Wilder ou la fascination de Marlène Dietrich que pour le témoignage d’une époque !


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De Impétueux, le 17 janvier 2016 à 19:56
Note du film : 5/6

Si je mets à part Boulevard du crépuscule qui est tout près du chef-d’œuvre, La scandaleuse de Berlin est sans doute le meilleur film que je connaisse de Billy Wilder, dont je ne suis pas particulièrement féru. C'est un film qui paraît enlevé, léger, quelquefois proche du vaudeville, mais qui passe en un clin d’œil à l'amertume et au sarcasme, qui ne manque pas de cynisme et qui tutoie même le drame (j'aurais pour ma part assez apprécié que la fin en fût plus noire).

Dès l'abord la découverte par la délégation parlementaire étasunienne, pétrie de bonne conscience et de moralisme mercantile de la ville de Berlin, lacérée, pulvérisée, déchiquetée par le déluge de fer qui s'est abattu sur elle aux derniers mois de la guerre, laisse une certaine impression de malaise. Si persécuté qu'il a été par le nazisme, le juif austro-hongrois Samuel Wilder a vécu dans la capitale de l'Allemagne et il en a sûrement aimé la vitalité et l'audace. C'est, dans une certaine mesure, un éternel exilé européen sur le Nouveau continent, tout comme l'est une de ses actrices, Marlene Dietrich, née à Berlin, où, d'ailleurs, elle est enterrée. On ne se débarrasse pas si facilement de ses origines.

Donc, d’emblée, la visite de la ville détruite une fois accomplie, une sorte de vaudeville autour de Phoebe Frost (Jean Arthur), une gourde de l'Iowa, un des États les plus péquenots des États-Unis, toute pénétrée de sa mission virginale et démocratique, qui va tomber amoureuse folle du capitaine John Pringle (John Lund), qui profite en bon parasite des opportunités libertines qu'offre une ville en ruines dont les jolies habitantes sont prêtes à se vendre pour quelques cigarettes ou tablettes de chocolat. Mais la maîtresse de Pringle n'est pas n'importe qui : c'est Erika von Schlütow (Marlene Dietrich), une ensorceleuse, à la fois ancienne compagne d'un dignitaire nazi et vedette adulée d'un cabaret où elle chante, de sa voix grave, des chansons magnifiques et cruelles.

L'intrigue est classique, de l'homme balloté entre deux femmes qui incarnent presque caricaturalement le Vice et la Vertu, mais est si vivement conduite, avec tant de brio dans les dialogues, dans les formules, qu'on se prend au jeu (de Phoebe au capitaine : Votre bien-aimée vous envoie un gâteau et vous tombez amoureux du facteur ; de la même avec sa médiocre tenue de soirée achetée au marché noir : J'ai l'air d'un cirque en deuil à l'enterrement d'un éléphant ; et du capitaine en réponse C'est une robe du soir à col roulé !).

On en oublierait presque que tout cela se joue sur des drames humains, sur la misère, le marché noir, le désespoir, la prostitution. Dans le registre grave de Roberto Rossellini, ça donne l'image accablante d'Allemagne année zéro, dans le registre amer, sarcastique de Billy Wilder cette Scandaleuse de Berlin et peu s'en faut que ce soit le même film. On l'oublierait presque si la Divine ne venait continuellement le rappeler, avec cynisme et volonté forcenée de s'en sortir.

Car – et je ne suis pas du tout d'accord là-dessus avec Vincentp – je trouve que Marlene Dietrich, dont le nom commence par une caresse et s'achève par un coup de cravache, comme en disait Jean Cocteau, laisse très en deçà d'elle la puritaine Jean Arthur, qui n'a ni charme, ni venin, ni quoi que ce soit pour séduire un homme comme le capitaine Pringle. Il est d'ailleurs à parier que celui-ci, revenu en Iowa dans les bagages de son député énamouré, s'y barbera considérablement et regrettera toute sa vie l'orchidée maléfique qu'il a approchée quelques mois durant dans Berlin dévasté.


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