Si immense est le talent de David Lynch qu'il peut ainsi aller à contre-courant de l'orientation générale de son œuvre cinématographique, prendre ses admirateurs à contre-pied et donner, entre Lost highway et Mulholland drive ce petit bijou humaniste et serein d'Une histoire vraie. Le regard sombre, noirâtre même souvent, pessimiste, halluciné, dubitatif sur la nature humaine se transforme, avec la même puissance de conviction, en une profession de foi confiante, émouvante, rayonnante sur le bonheur de l'altruisme et de la réconciliation.

Racontez à n'importe qui que vous aimez un film où un vieillard parcourt des centaines de kilomètres juché sur une tondeuse à gazon, qu'il a quitté sa fille un peu débile pour aller retrouver son frère malade et vous serez regardé comme un type bizarre.

Mettez ce sceptique devant le beau film de Lynch et – qu'il connaisse ou non le réalisateur – il demeurera scotché à son siège, ému et séduit par la pluralité des talents de celui qui est peut-être le plus grand cinéaste actuel en activité, même s'il n'a rien tourné depuis bientôt dix ans.

Une histoire vraie est, sans doute, une histoire réellement survenue à un véritable Alvin Straight, mais c'est aussi avant tout une histoire simple, bâtie avec des gens simples, un paysage simple, une musique simple. Amérique des grandes plaines plates, mornes, ennuyeuses, fertiles du Middle-West, sans caractère et sans attraits, à la mesure des personnages d'une grande banalité que Lynch présente. D'une grande banalité mais tous solides, ouverts, bienveillants, honnêtes, droits. Il n'y a pas un méchant, un violent, un jaloux, un vicelard dans le film : il y a des voisins confits dans la Budweiser et l'ennui de l'Iowa, une voisine grassouillette et permanentée, une auto-stoppeuse paumée et gentille, des réparateurs de machines un peu rapaces, mais finalement bons zigues, des hôtes accueillants et généreux, des voyageurs qui rendent service, dépannent, remorquent, aident autant qu'ils le peuvent. Un exemple de société simple, calme, apaisée où chacun trouve sa place sans empiéter sur la place d'un autre. Un monde sans clinquant, sans brillant, sans brio mais un monde honnête, droit, tranquille. J'ai songé à l'intéressant documentaire God's country de Louis Malle, qui offre, dans le Minnesota, cette même impression que les choses sont à leur place.

Une histoire vraie excelle à filmer le temps qui passe, au rythme lent de la tondeuse à gazon qui va accomplir plus de 500 kilomètres avec un petit, tout petit lot d'aventures au milieu de populations aussi lisses que leur contrée est plate et sans charme ; même l'ennui du long périple est rendu par la répétitivité des séquences et par les soucis minuscules rencontrés par Alvin Straight (Richard Farnsworth).

Un petit regret : celui de n'avoir pas revu, après le premier tiers du film, Rose, la fille d'Alvin, interprétée par Sissy Spacek que je n'avais plus revue depuis Carrie où elle était remarquable. Dans le rôle ingrat d'une retardée mentale fragile et attachante, elle l'est tout autant qu'en adolescente dotée de pouvoirs surnaturels.

Le pire quand on est vieux, c'est de se souvenir qu'on a été jeune répond Alvin à l'autostoppeuse paumée et enceinte qui l'interroge. Le pire, quand on est un grand cinéaste, c'est de se confiner dans un genre. David Lynch, de façon éclatante, prouve qu'il peut tourner sur toutes les portées.

Je ne peux m'empêcher de citer ce communiqué de l'Associated Press : (24/06/2010)

« KENNEWICK, États-Unis – Un voleur a été rattrapé par la police tandis qu'il tentait de prendre la fuite au volant de la tondeuse à gazon qu'il venait de dérober, a-t-on appris de source policière.

D'après le Tri-City Herald, la police a reçu un appel signalant un cambriolage. Arrivés sur les lieux, les agents ont trouvé le suspect, un homme de 31 ans, qui conduisait la tondeuse en pleine rue.

Le moteur de l'engin n'était semble-t-il pas assez puissant pour lui permettre de prendre la fuite. Le suspect a sans doute aussi été ralenti par la remorque qu'il tractait, et qui était remplie d'outils de jardinage.

Il a été placé en détention. »