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L'aveuglement de la conscience


De droudrou, le 3 octobre 2006 à 11:07
Note du film : 6/6

Raison de plus : c'était pour réanimer la créativité d'Impétueux ! Je le trouve bien calme ! Je n'ai jamais contesté le côté très sympathique de ce forum ! Bien au contraire puisque sa richesse vient de gens qui se passionnent pour le cinéma mais nous font bénéficier en plus d'une culture riche. Et même si leur connaissance du cinéma apparaît relative, pour le moins elle nous ramène à d'autres niveaux de réflexion qui nous manquent parfois.


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De Impétueux, le 7 septembre 2006 à 14:05
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Si je ne me sens pas encore assez en verve et en disposition d'esprit favorable pour indiquer pourquoi je tiens, pour ma part, Eyes Wide Shut pour le sommet de l'oeuvre si admirable en tous points de Stanley Kubrick, j'ai tout de même très envie d'applaudir des deux mains aux trois quarts du dernier point de vue de Droudrou.

Penser qu'il existe la volonté de laisser un "message", chez Kubrick, c'est effectivement le rapetisser singulièrement, en faire un cinéaste engagé, davantage qu'un moraliste (pour ceux qui ne sont pas très au courant, je précise qu'un "moraliste" n'a rien à voir avec un partisan du Code Hayes, un taliban ou un instituteur de la IIIème République ; Chamfort, Vauvenargues, Anatole France sont des moralistes ; dans une certaine mesure, Proust aussi, et Giono, sûrement).

D'ailleurs, à mes yeux (que je vais me faire arracher, sur cette assertion, peut-être), le propos le plus faible de Kubrick (je n'ai pas écrit "le film le moins réussi" !), c'est celui des Sentiers de la gloire, qui est précisément un pamphlet assez simpliste (et, sur un autre film de guerre, Full metal jacket, précisément, le propos est autrement fort, rune de paix et inscription "Born to kill" coexistant sur le casque de Joker (Matthew Modine).

Mais sinon, quel message tirer de L'Ultime razzia ? Que "Bien mal acquis ne profite jamais" et que "Occupez-vous de mes amis, mes ennemis, je m'en charge !" ?

Et de Spartacus ? Que décidément, l'esclavage est une pratique répugnante et que si tous les Gladiateurs du monde voulaient se donner la main, etc. etc. ??

Et de Lolita ? Que, y'a pas à tortiller, les jouvencelles, péronelles, gourgandines sont des êtres diaboliques dont il faut se méfier comme du lait sur le feu et que tous les hommes ont dans leur coeur un cochon qui sommeille ?

De Dr. Folamour que le monde entier danse sur un volcan, que les militaires ne sont pas des gens fréquentables et que les politiciens sont des branquignols invétérés ? Et qu'à force de pisser contre le sirocco, on finira par avoir les babouches mouillées ? (en termes plus évangéliques : "Ils ont mangé les raisins verts et ils en ont eu les dents agacées !")

Pour 2001 : l'Odyssée de l'espace (plus métaphysique)  : "Qu'est l'Homme pour vouloir s'aventurer dans le vertige de la Connaissance ?" ou (plus pascalien) "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie !"

Pour Orange mécanique : Voilà ce qui arrive lorsque la démission des parents se conjugue avec les mauvais spectacles procurés par les mass médias (c'est d'ailleurs le point de vue de Paul mtl)

Pour Barry Lyndon : "Ne laissez jamais un garçon qui n'est pas de votre milieu s'inscruster dans l'honorabilité de votre famille : vous en pleurerez toutes les larmes de vos yeux !"

Pour Shining : "Au lieu de vouloir jouer à faire l'écrivain (ou l'artiste, ou le coureur cycliste), tu aurais mieux fait d'accepter cette place de sous-chef du rayon habillement des Nouvelles Galeries de Romorantin !" ou bien – plus subtilement "un homme seul est en mauvaise compagnie !"

Pour Full metal jacket : "Voilà ce à quoi conduit l'ingestion incontrôlée de hamburgers et de sodas sucrés ! A des "Grosse Baleine" incapable de se bouger le cul sur un petit parcours du combattant de rien du tout !"

Et enfin, naturellement, sur Eyes Wide Shut : " Vous avez vu toutes ces publicités pour les sous-vêtements "Aubade" dans les rues ? Et ces gamines qui montrent leur nombril ? Il n'y a rien d'étonnant, ma pauvre dame que les hommes soient de plus en plus dégoûtants !"

Du calme, donc ! Kubrick n'a pas voulu dire ça !


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L'épithalame


De Impétueux, le 2 octobre 2006 à 19:08
Note du film : Chef-d'Oeuvre

Un mois n'a pas été de trop pour que, à la suite de vos messages, souvent inspirés et pertinents, je me décide, le doigt tremblant et l'émotion au cœur à venir écrire pourquoi je tiens Eyes wide shut comme le sommet et le couronnement de l'œuvre fascinante de Stanley Kubrick.

Kubrick, dès qu'il touche à un genre, à une catégorie filmique particulière, non seulement réalise souvent un chef-d'œuvre de référence, mais en renouvelle si complètement le langage qu'il est difficile, après lui, de traiter le sujet, sauf à s'engager clairement dans une toute autre direction : ainsi pour le pamphlet d'anticipation politique avec Dr. Folamour, la science-fiction avec 2001, le conte philosophique avec Orange mécanique, l'adaptation historique avec Barry Lyndon, le thriller horrifique avec Shining, le récit de guerre avec Full metal jacket (et même le péplum, avec Spartacus). D'ailleurs, ranger ces films dans des catégories prédéfinies, c'est les réduire notablement ; gardons-les, toutefois, pour la commodité de ma démonstration.

Il n'y a rien d'étonnant qu'il ait porté son dernier soin à un genre plus universel encore, celui qui met en jeu une des bases sociales les plus constantes et les plus fortes, le couple, la difficulté d'y faire cohabiter la sérénité calme de la fidélité et la nécessaire exaltation du désir. D'où l'idée de choisir un vrai couple, à la ville (alors !) comme à l'écran (pour toujours !) Tom Cruise et Nicole Kidman et d'en montrer les composantes non pas comme une sorte de modèle fusionnel, improbable et niais, comme le présentent les contes de fées, mais comme le centre d'un combat quotidien sur quoi repose la seule vraie question : Qui est cet être que j'ai choisi, que j'aime et qui me demeure pourtant étranger ?

Partant de là, Kubrick va se lancer dans un éblouissant chatoiement de faux-semblants, destiné à montrer l'étrangeté de l'exploration de l'autre : il n'y a guère de personnages que Bill Harford, au cours de ses frustrants périples rencontrera qui ne comporte une face cachée, ombreuse et sinon toujours inquiétante, du moins surprenante et déconcertante (Ziegler (Sydney Pollack) bien sûr, mais aussi Millich (Rade Serbedzija), Nick Nightingale (Todd Field), la call-girl Mandy (Julienne Davis), Marion Nathanson (Marie Richardson), la prostituée Domino (Vinessa Shaw).

De la même façon, médecin prospère et apparemment sans histoire, il se rendra compte que la réalité est biaisée, aussi bien lors de la réception brillante chez Ziegler, où les poussées vers les tentations se font à visage découvert (les mannequins Gayle (Louise J. Taylor) et Nuala (Stewart Thorndike), Sandor Szavost (Sky Dumont), Ziegler (Sydney Pollack) et Mandy (Julienne Davis), que lors de l'orgie à Somerton où les masques dissimulent (peut-être ?) les mêmes tentateurs.

Les deux scènes les plus structurellement importantes du film, à mes yeux, sont les deux scènes intimes, où Bill et Alice vivent le rude choc de leur éveil, la première le lendemain de la soirée de Ziegler, la seconde lorsque Bill, harassé et penaud au retour de l'orgie de Somerton, découvre Alice plongée dans un rêve et la réveille en la caressant doucement.

Rude choc de l'éveil, car jusque là, Bill et Alice sont précisément restés «les yeux grands fermés». Il n'est pas indifférent que les premières images du film soient d'abord celle, d'une grande perfection formelle, où Alice laisse glisser sa robe par terre dévoilant sa somptueuse beauté puis, presque immédiatement celle où la même Alice, assise sur la cuvette des WC, demande à Bill comment il la trouve, à quoi il répond « Parfaite ! » sans même la regarder. Beauté parfaite/Trivialité du geste et de la situation : chacun des deux a les yeux grands fermés.

Cela étant, Bill et Alice ne peuvent être logés à la même enseigne : Alice, sans les nier le moins du monde, a sublimé ses fantasmes sans les réaliser, que ce soit avec l'officier de marine de Cape Cod (J'étais prête à tout (abandonner pour lui), et pourtant c'était étrange, parce que en même temps tu m'étais plus cher que jamais et à cet instant, mon amour pour toi était à la fois tendre et triste) ou dans le rêve d'orgie qu'elle raconte à Bill qui revient, lui, précisément, d'une vraie saturnale !

Car Bill, plus sommaire, plus fruste, sans vraiment désirer aucune femme particulière, mais du fait d'une sorte de ressentiment enfantin envers Alice, va chercher, toute la nuit, une impossible compensation à sa blessure d'amour-propre. Cette course forcenée revêtira presque tous les avatars sexuels possibles (adultère avec Marion, prostitution avec Domino, fruits verts avec la fille de Millich (LeeLee Sobieski), évidemment l'orgie, et à quoi on pourrait presque ajouter l'homosexualité avec le réceptionniste de l'hôtel de Nick, voire la nécrophilie avec le corps de Mandy à la morgue), mais à chaque fois, ironiquement, Kubrick retirera l'échelle… sans plus la lui tendre, puisque le lendemain, Bill dégrisé se heurtera à toutes les désillusions (Marion n'est pas chez elle, Domino est absente – et séropositive ! – Mandy est morte, la fille de Millich est en fait prostituée par son père…). Quant à Somerton, le lieu de l'orgie, il vaut mieux ne pas s'en approcher.

À ce propos, il faudrait être un drôle de loustic pour trouver à la cérémonie glaçante qui s'y déroule et aux ébats théâtralisés qui s'y tiennent le moindre caractère érotique. La perfection physique des mannequins nus, leur beauté glacée, leur hiératisme absolu ne peuvent susciter aucun trouble, aucune émotion, aucune vivacité sensuelle. Là aussi, pour Bill, illusion, mascarade, faux-semblant à quoi il ne comprend rien. Et Ziegler ne le lui envoie pas dire : « Ne joue pas dans la cour des grands ! ».

Les yeux sont grands ouverts, lors de la dernière scène, celle des courses de Noël, dans le grand magasin. Le resteront-ils ? Qui peut le dire… ?

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Je signale que les éditions Pocket ont eu l'excellente idée d'éditer Traumnovelle (Rien qu'un rêve) d'Arthur Schnitzler suivie du scénario et des dialogues de Eyes wide shut, ce qui est bien intéressant


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