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Critique


De dumbledore, le 30 janvier 2003 à 00:00

Attention, chef d'œuvre. Wim Wenders rencontre Nicholas Ray pour son film précédent, L'Ami américain. Les deux hommes sympathisent et quand Nicholas Ray se sent mourir, il demande à son ami de faire un dernier film avec lui. Nick's Movie est ce film là. Mais il est plus qu'un hommage au grand réalisateur américain, il constitue une œuvre d'une liberté étonnante et d'une complexité toute aussi passionnante.

Le film mélange d'abord images 35mm et vidéo (retravaillées pour accentuer encore plus le côté flou) à une époque où ces mariages ne se faisaient pas encore. Le 35 évoque bien évidemment la fiction et la vidéo la réalité, le making-of du film qu'ils réalisent. Car, et là réside une des grandes idées du film, l'histoire du film Nick's Movie, c'est comment s'est créé le film Nick's Movie. Toutefois, ce serpent qui se mord la queue va évidemment plus loin qu'une simple pirouette intellectuelle.

Il s'agit d'abord d'un film qui ne pouvait pas être maîtrisé puisque finalement dépendant de l'état de santé de Nicholas Ray. Le terme même de film pourrait être débattu puisqu'avant que Wim Wenders le monte, il ne s'agit qu'à peine de cela. C'était d'abord et avant tout un moyen pour les amis du grand réalisateur américain d'être là avec lui, de l'accompagner.

Mais Wenders étant ce qu'il est, le projet n'en est pas resté là et il nous donne une œuvre forte. Ce film dans le film, ce mélange étrange constitue la forme narrative la plus adéquate pour traiter du thème du film : comment filmer la mort ? Comment filmer la réalité la plus réelle et pourtant la moins appréhensive qui soit. Où peut se situer le cinéma, forme narrative et artistique, qui joue forcément avec l'imaginaire, pour aborder une réalité qui devrait être décrite sans imaginaire (et dont on ne peut parler qu'à travers le filtre de l'imaginaire). Ce thème de la mort est particulier au cinéma dit « moderne » ou « distancé » (dans l'idée de distance entre l'événement filmé et l'affect déclenché chez le spectateur), de Wim Wenders, de Antonioni, ou bien encore de Altman et Jean-Luc Godard dans leurs premiers films.

Le début du film est particulièrement brillant à cet égard. Wim Wenders arrive chez Nicholas Ray et explique par une voix-off comment les choses se sont passées. Nous sommes donc dans la réalité. Seulement, l'image est en 35 mm et quand Wim Wenders entre très tôt le matin chez le réalisateur, on a droit à un champ contre champ entre Wim Wenders et le monteur du réalisateur américain. Il y a donc deux caméras 35 dans la pièce. Bizarre pour un documentaire, ça fait artificiel. Premier malaise : où est la réalité ? ou est la fiction ? Plus tard encore, on voit Nicholas Ray se réveiller, malade, toussant, vieux, les fesses à l'air. Le plan est long, voyeur. Seulement, ce moment de réalité là est filmé par un long et ample travelling qui traverse toute la pièce. On a de nouveau un sentiment de distance entre la réalité filmée et l'artificialité du filmage. Puis, après quelques minutes, plus tard dans le film, nouvelle rupture : l'image vidéo montre Wim Wenders en train de diriger Nicholas Ray pour la scène du réveil…

La boucle semble alors bouclée ? Les marques sont bien posées ? Le 35 est donc la fiction ? et la vidéo la réalité ? Eh bien non, ce n'est pas aussi simple que ça et à mesure que le film avance, émergent des moments de réalité dans le 35 (impossible de dire que la conférence soit mise en scène) et des moments de fiction dans la vidéo (quand on voit une caméra plantée sur soi, on ne peut pas s'empêcher de « jouer »)… Nous sommes perdus, sans repère durant tout le film, ce qui correspond finalement à une magnifique approche du sujet (la mort) qu'il faut traiter : le sujet est fuyant insaisissable, comme un savon mouillé, partant dans un sens ou dans un autre, jamais là ni comment on l'attend.


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