Maupassant traite cela en drame grisâtre et déprimant : de l'aventure qu'elle a connue jadis, la mère des deux frères a surtout conservé un grand faible pour l'enfant de l'amour et marque pour lui une préférence choquante ; et il est vrai que le cadet est plus aimable, plus brillant, plus séduisant que l'aîné. Mais Bunuel tire vers le mélodrame. Là où le romancier plaçait dès son premier chapitre la survenue de l'héritage empoisonné, le cinéaste le fait longuement attendre, le temps de présenter l'idylle qui va survenir, avec une sorte de fatalité entre la mal mariée Rosario (Rosario Granados) et le beau, romanesque, idéaliste, forestier Julio Mistral (Tito Junco). Et de sacrifier le bonheur des deux amants parce que Carlitos (Jaime Calpe) s'est rapproché de son sévère père et qu'il n'est pas concevable de l'en séparer.
On voit bien qu'on n'est pas dans le même registre ; d'ailleurs toute la lumière va dans le film s'orienter sur la malheureuse femme, qui a perdu l'amour de sa vie et qui verra ensuite ses deux fils se déchirer sous le regard d'un mari qui ne comprend rien. Chez Maupassant, c'est sur l'aîné, le malheureux enfant grugé que l'intérêt se focalise. Et cela fait toute la différence entre un grand roman et un gentil film. Un grand roman dont le desinit est parmi les plus beaux que je connaisse, qui relate le départ vers nulle part de Pierre, alors que Jean, qui a tout reçu en partage, au bras de la femme aimée, le voit disparaître de sa vie : Comme ils allaient quitter le quai et prendre le boulevard François Ier, sa femme se retourna encore une fois pour jeter un dernier regard sur la haute mer ; mais elle ne vit plus rien qu’une petite fumée grise, si lointaine, si légère qu’elle avait l’air d’un peu de brume.Car Une femme sans amour n'est pas dénué d'intérêt. Aussi parce qu'il nous présente ce Mexique de 1951, qui atteignait, comme beaucoup de pays d'Amérique latine, une forme de prospérité après avoir été le grenier (à blé ou à viande) des belligérants. Et puis c'est très bien rythmé, très bien interprété et, malgré les dérives sentimentalo-mélodramatiques, bien agréable à regarder. Mais enfin, du Mexique de Bunuel, on préférera Los Olvidados, El (Tourments) ou La vie criminelle d'Archibald de La Cruz…
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