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Spectacle global et réflexif


De vincentp, le 8 juillet 2017 à 22:50
Note du film : Chef-d'Oeuvre


Tarkovsky place sa caméra à une hauteur de deux mètres environ et filme ses personnages en légère contre-plongée, selon la position du christ orthodoxe, dixit le documentariste Chris Marker. Des mouvements de caméras spectaculaires permettent d’accroître considérablement cette hauteur et d'observer la société russe du XV° siècle dans un plan d'ensemble. Le film s'ouvre (par le vol en ballons) et se conclut (par la fonte de la cloche) par une représentation d'un collectif composé d'anonymes. Est porté à notre regard un monde qui se situe à la frontière de la ruralité et de la petite cité organisée autour de son lieu de culte orthodoxe. Le fleuve, et la boue qui le sépare du rivage, réalisent la transition entre ces deux mondes. Aux portes de la cité existe une nature omni-présente, immense, boueuse, déifiée par les moujiks. L'air y circule de façon paisible (chute de flocons) ou tumultueuse (bruit des moustiques dans la steppe).

Dans ce contexte, le moine Andrei Roublev réalise un parcours physique et psychologique, qui s'apparente à celui du personnage que l'on voit se faire crucifier au début du film. Roublev expérimente les joies et les tourments de la société humaine, occupant au final la position du christ lorsqu'il observe de haut le jeune fondeur de cloche en proies aux difficultés. Andréi Roublev (1966) contient une réflexion sur la foi, l'art, la science et la technologie, le pouvoir et la politique. Ces éléments sont montrés comme étroitement imbriqués. Les dirigeants politiques russes sont soumis aux mêmes tourments que leurs sujets, le pouvoir dont ils disposent les rendant simplement inquiétants (le regard des fondeurs en dit long à ce sujet). Dans le chaos ambiant du XV° siècle existe néanmoins une conscience collective, celle d'appartenir à une même culture, russe… Ne reste plus qu'à bâtir des institutions politiques et sociales raisonnées pour organiser cette société russe.


Nb : il s'agit bien évidemment d'un des dix meilleurs films russes, et aussi d'un des tous meilleurs films de l'histoire du cinéma…


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De Impétueux, le 24 juin 2014 à 22:58
Note du film : 3/6

Il y a des jours où l'âme slave, qui m'est pourtant si chère, est un peu trop compliquée pour moi et où je ne comprends plus ses foucades, ses subtilités et ses incandescences. Cela m'est arrivé à la lecture des Frères Karamazov ; et à nouveau hier, en regardant Andreï Roublev, que j'avais beaucoup apprécié il y a quelques années, et qui m'a souvent exaspéré, à tout le moins profondément ennuyé.

C'est entendu et ce n'est pas contestable : le film est un admirable recueil d'images et la façon de filmer de Andrei Tarkovsky, sa sensibilité extrême, son sens de la désolation, qui s'exprime à tout instant par des choses très simples (la pluie qui tombe en averse drue, les feuilles mortes qui brûlent, la terre imbibée d'eau, le crépi usé des murs) sont ceux d'un artiste profond.

Mais la lenteur du récit, ses ellipses étonnantes et agaçantes, sa division en séquences hiératiques apparaissent artificielles et même un peu hautaines. Je tiens pour rien la petite connaissance de l'histoire de la Russie qu'il faut avoir pour se colleter à la période troublée du début du 15ème siècle ; après tout, Wikipédia n'est pas fait pour les chiens et si l'on éprouve de l'intérêt pour un peuple et une civilisation, le moins qu'on puisse lui donner est d'aller jeter un œil attentif sur son passé, ce qui en fait l'esprit, l'identité et la légende. Mais je ne suis pas certain qu'on puisse passer au dessus de tout ce qui fait l'âme d'un peuple sans en connaître la langue, la spiritualité, les traditions, sans participer complètement de son génie propre. Vieux débat et vieilles querelles que j'ai eus ici et là à propos d'autres cinémas.

En vingt lignes, j'ai écrit deux fois le mot âme ; ce n'est pas volontaire, mais ce n'est certainement pas par hasard que je l'ai fait : il y a dans Andreï Roublev ces exaltations, chagrins, furies, violences, cruautés, réconciliations, terreurs, mélancolies qu'on prête, à tort ou à raison, au caractère slave, à cette immense Russie, dont la capacité de souffrir, d'endurer, d'absorber le Mal, mais aussi de lui résister et, finalement de le vaincre sont une des constantes. Aussi la facilité de passer en un instant du rire aux larmes, du grotesque au tragique, du dérisoire au pompeux, du misérable à l'opulent que nous ne connaissons pas en Occident.

Mais rien de plus difficile à saisir qu'une âme, tous les confesseurs vous le diront. C'est un chemin escarpé, austère, qui demande un effort considérable pour le moindre cheminement. Tarkovsky se place un peu au bord du chemin de son personnage, moine et peintre d'icônes, dans les temps incertains des invasions tartares, de la dévastation des villes et des luttes fratricides. Il a écrit,en présentant Roublev pour Les Cahiers du cinéma ce portrait que je souhaiterais qu'on me décrypte : L'histoire de la vie de Roublev est l'histoire d'un concept enseigné et imposé, qui se brûle dans l'atmosphère de la réalité vivante, pour renaître de ses cendres comme une vérité nouvelle à peine découverte. Lisant ceci, je crains de ne pas être plus avancé.

Ma note, exactement médiane, est naturellement absolument arbitraire : elle serait beaucoup plus faible si elle ne s'établissait que sur le récit, beaucoup plus forte si elle ne considérait que des séquences d'une brûlante envolée, la mise à sac de la ville de Vladimir, par exemple, la coulée de la cloche de bronze, qui marque la renaissance d'un village, ou la fête païenne orgiaque (qui m'a fait songer, tout à la fois, et sans vraie cohérence, à The wicker man et au Temps des gitans).

Bref, il faudra que je revoie Andreï Roublev dans une dizaine d'années. Si Dieu, d'ici là, me prête vie…


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