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Forum : Wake in Fright (Réveil dans la terreur)

Sujet : Honorable réalisateur


De Nadine Mouk, le 29 octobre 2016 à 01:36
Note du film : 5/6

Et bien moi j'ai vu ce film, hier soir, sur la chaine Arte qui, décidément, est bien la seule qui mérite de survivre sur le ruban de la télé « classique ». J’ y ai vu un film hypnotisant. Une descente aux enfers consentie par un pauvre type, Gary Bond , charmant au demeurant, mais qui hait tellement tout ce qui vit autour de lui, qui se déteste lui-même, que l’occasion de se détruire au cours d’un voyage dans une Australie aride et reculée, peuplée de brutes frustres et avinées, viendra comme une délivrance hélas provisoire, mais peut-être bénéfique, en fin de compte.

Son errance le conduira dans une contrée, dans un bled, où les habitants ne conçoivent la vie qu’à travers une saoulerie incessante qui leurs permet, outre la répugnance qu’ils ont d’eux-mêmes (eux aussi !) d'oublier la terre trop jaune du désert qu'ils n'ont pas forcément choisie, la misère dans laquelle ils boivent et reboivent comme les marins de Brel, la poussière qui brûle leurs yeux pendant l’enfer des gueules de bois qui les ramènent à une réalité qu’ils vont bien vite noyer sous des hectolitres de bière. Dans ce village, il est plus offensant de refuser le coup à boire que de pisser sur la femme du type qui tend le bock ou la canette. Des images âpres sur un scénario cassant où le sarcastique se le dispute à l’acerbe ! Une mise en scène sans faille qui rend le tout plus terrifiant. Vincentp, le technicien, vous en parlerait mieux que moi . Pourtant, pas de sang, pas de Zombies suintants, pas de Massacre à la tronçonneuse. Seuls les pauvres kangourous subiront la folie de ces hommes ivres. Car ici, dans ce film complètement fou, alcoolisé pendant une heure trente, pas de singe en hiver. De toute façon, on ne recherche pas l’ivresse qui faisait descendre le Yang-Tsé-Kiang à Gabin et combattre, dans des arènes bondées, les plus grands taureaux à Belmondo. De toute façon, ici, l'hiver n'existe pas, sauf dans les âmes…

Là, dans cet océan d'alcool qui promet l'évasion, on réclame à grandes beuveries (des hectolitres !) la folie dans son aliénation la plus aberrante. Des kangourous seront chassés par des soulards que la bière (des hectolitres !) a rendus plus téméraires que le tigre de Tasmanie qui les chasse déjà, et friands des testicules de ces marsupiaux, qui rendent virils les plus défoncés des hommes. Scènes de chasse effroyables où aucun détail ne nous est épargné. Scènes de chasse que le générique de fin s'empressera d'expliquer, dans le détail lui, comment elles ont étés tournées. Gare à la SPA ! Une scène qui, à plus grande échelle, n'est pas sans évoquer la chasse aux lapins de La règle du jeu de Renoir. Mais un lapin qui s'écroule provoque moins de haut-le-cœur qu'un Kangourou …Parce que donc, l'alcool fou tue aussi les kangourous. Et tans pis si, en rentrant de cette chasse immonde, on dégueule sur la femme que l’on baise : on est un homme ! Et les couilles du marsupial sont au frigidaire ! Un homme qui veut oublier la chaleur du désert qui ressemble à l'enfer où cuisent les hommes et meurent les kangourous. Le désert, c'est le flacon maudit qui entraine l'ivresse mauvaise et rugueuse. Boire, boire, boire, oublier ce que l'on est, à toutes forces ! …

Hypnotisée, vous dis-je, par ces scènes apocalyptiques de la bassesse des hommes quand ils s’en donnent la peine. Et là, des acteurs irréprochables (Donald Pleasence exemplaire à son habitude) nous transportent avec une maestria prodigieuse dans l’inconcevable . Et Ted Kotcheff, le réalisateur, en veut encore et toujours plus. Il veut des hommes perdus, une terre brûlante, des femmes tellement nymphomanes que les hommes qui vomissent sur elles ne gênent en rien leur plaisir. Il veut un soleil qui nous aveugle autant que cette dérive infernale. Il veut nous hurler que tous nous avons peur, au même titre que ces hommes dans leur nuit pochardée ! Il le veut et il l’obtient ! car il nous tient aussi. Il nous prend et ne nous lâche plus jusqu’au dernier plan. Il a réussi à nous démontrer comment l'extravagance humaine peut devenir terrifiante ! Et quand le mot "Fin" apparaît, c’est la gueule de bois, pour nous qui n’avons bu que de l’Oasis, au frais …

Énorme ! Magistral ! Une gifle !


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De vincentp, le 11 juillet 2018 à 23:10
Note du film : 5/6

Cauchemar dans l'outback, pour un instituteur. Le film tourné à Broken Hill en 1970, a valeur aujourd'hui de documentaire. L'interview de Kotcheff en supplément du dvd est à voir : c'est en France que Wake in Fright aurait eu son plus gros succès, selon le cinéaste. Ce n'est pas un grand film, mais un film important, qui a décomplexé et relancé le cinéma australien. Kotcheff serait toujours en vie : il aurait 87 ans. Un sacré parcours !


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De Impétueux, le 29 juin 2023 à 14:57
Note du film : 4/6

Ah oui, c'est un film très agréablement dégueulasse, qui met mal à l'aise, qui insinue au fin fond de votre épine dorsale une médiocre petite coulée de boue. Un film qui vous gêne, vous exaspère, vous met mal à l'aise, ne vous laisse pas tout à fait intact. Mais – ne soyons tout de même pas emphatique – ne vous dérange pas autant que, par exemple, l'inatteignable Délivrance de John Boorman. C’est bien, c'est très bien même mais ça demeure filmé au niveau des oripeaux de notre pauvre humanité : sale pays, sales gens, sales situations, sales médiocrités mais à peu près similaire à tout ce que l'on voit dès que la caméra quitte les tendresses consensuelles à la TF1 pour aller voir un peu plus loin la réalité du monde.

Réveil dans la terreur pourrait presque être présenté comme un conte philosophique, avec de multiples entrées.

D'abord celle de l'enfermement dans un environnement hideux et inhumain, celui de l'Outback, centre désertique de l'Australie, continent superflu ; enfermement qui produit, suscite, détermine tous les vices et tous les dégoûts : alcoolisme, nymphomanie, cruauté, sadisme, mépris de soi et des autres. Tout cela cause et conséquence de ce que Jean Giono appelait la charge la plus lourde de la condition humaine : l'ennui.

Puis la fascination pour la déchéance, pour la dégradation, pour l'engloutissement dans la vomissure, afin de pouvoir se placer au niveau de ceux qui entourent, pour ne pas en être différent, pour jouer le même jeu. Le malheureux instituteur John Grant (Gary Bond), confiné parmi les crétins et enfants de crétins de la bourgade de Tiboonda, part en vacances, qu'il va passer avec sa jolie fiancée, loin de cet affreux Outback. Il part pour Sidney, mais rêve de quitter l'Australie pour se retrouver dans un pays réellement civilisé… Londres par exemple. En transit, il doit faire une escale nocturne à Yabbabonda, une petite ville crasseuse où l'activité principale est d'ingurgiter des hectolitres de bière tout en pariant des sommes folles au jeu idiot et addictif de Pile ou Face et, de temps à autre, d'aller massacrer des abondants kangourous.

Grant n'est pas, au demeurant, un garçon bien sympathique, ni un esprit bien fort. Il possède une belle gueule, mais un peu mièvre, un peu veule ; il regrette d'avoir fait des études littéraires, sans doute assez sommaires, qui ne lui laissent pas d'autre perspective qu'un pauvre poste d'instituteur dans une région désolante. D'ailleurs on parvient presque à comprendre comment les malheureux qui vivent là sont minés : plaine jaune malsain à perte de vue, vent de sable poisseux, ciel idiot à force d'être bleu. Ted Kotcheff fait très bien sentir la chaleur, l'étouffement, la pesanteur du monde, son aridité, sa fermeture.

De deux choses l'une, lorsqu'on se trouve prisonnier de cette atmosphère : soit on s'accoutume, on s'adapte et même on finit par se complaire dans l'avilissement, l'abrutissement. Soit on essaye de s'en sortir par un coup de chance. C'est précisément ce qui arrive à Grant, qui sait bien que ses six semaines de vacances ne pourront être qu'une parenthèse et qu'il devra retourner, à la rentrée des classes à Tiboonda, retrouver les débiles, le sable, le soleil écrasant, la plaine jaune. Comme il a gagné une forte somme au jeu de Pile ou face, il se dit qu'il peut gagner davantage et s'enfuir pour toujours. On sait bien que ce genre de trucs ne marche jamais. Donc il perd tout.

Et commence la dégringolade, où Grant est bien poussé par le vicelard Tim Hynes (Al Thomas), sa fille Janet (Sylvia Kay), sur qui toute la ville est passée, ses copains malabars violents tueurs nocturnes de kangourous Dick (Jack Thompson) et Joe (Peter Whittle) ; surtout par l'étrange Doc (Donald Pleasence) qui se définit comme médecin, clochard par tempérament et alcoolique. Toutes les tentatives de Grant de se reprendre, de fuir, échouent. Et la dernière est une belle parabole : faisant du stop pour aller à Sydney, il retourne, en fait à Yabbabonda, puisqu'il a simplement dit au camionneur de l'emmener à la ville et que c'est là que le routier allait. Il ne lui reste plus, après une tentative de suicide ratée – aussi ratée que sa vie – de recommencer l'année scolaire à Tiboonda. Coincé.

Sordide, gluant, poisseux, souillé. Implacable.


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