Après la claque que fut pour moi l'an dernier la découverte de l'étrangleur de Boston, j'hésitais à regarder cet autre film sur une affaire sordide réalisé par le même cinéaste. Eh bien j'ai enfin visionné ce film rare passé récemment au cinéma de minuit et je n'ai pas été déçu, bien au contraire!!

Délocalisé en Angleterre, Richard Fleischer a ici encore reconstitué un fait divers aussi célèbre que sordide, l'affaire Christie-Evans.

Sordide à tel point que le critique Jacques Lourcelles a pu écrire "aucun film peut-être n'a été capable depuis les débuts du cinéma de mettre le spectateur dans un tel état d'accablement". L'un des tours de force de Fleischer est de créer une atmosphère irrespirable sans jamais avoir recours au gore ou à l'érotisme. Comme dans L'étrangleur de Boston, le cinéaste fait l'ellipse de tous les meurtres ou presque.

La description de L'Angleterre des années 1940 et 1950 est remarquable. Aussi bien dans son approche plastique, comme en témoigne le travail sur les couleurs vertes et marron, que dans la description d'une société soi-disant "civilisée" où de telles horreurs peuvent prospérer. Incarné par un hallucinant Richard Attenborough, John Christie, assassin terrifiant et inexcusable contrairement à L'étrangleur de Boston, profite de la naïveté de victimes complètement perdues et miséreuses. Ainsi l'attardé mental Evans, joué par le bouleversant John Hurt, est accusé à la place de Christie par une justice à côté de ses pompes.

Le film de Fleischer est un réquisitoire impitoyable contre la pauvreté, l'analphabétisme et le manque d'instruction, sans jamais tomber dans les écueils du film à thèse démonstratif. L'exposition du fait-divers dans toute sa nudité suffit à elle-même. Ainsi la scène de l'exécution de Evans constitue la plus terrible charge contre la peine de mort qu'on puisse imaginer.

Ici encore Fleischer a réalisé un chef-d'oeuvre inoubliable. Mais quand diable osera-ton le reconnaître comme l'un des plus grands cinéastes ?

C'est vrai, c'est un film étonnant, anti-spectaculaire au possible, étouffant et assez malsain (les fantasmes de Christie). Le plus surprenant dans ce film, c'est la performance de Attenborough, acteur routinier qui ne m'a jamais intéressé auparavant et qui est même souvent agaçant (La grande évasion, Jurassic Park), mais qui ici crève l'écran et se montre d'un réalisme dérangeant.

Oui, des Vikings à "Mr. Majestyk" en passant par Les inconnus dans la ville et tant d'autres, Fleischer est un bon. A condition d'oublier "Che", Ashanti ou Kalidor… Nobody's perfect !

C'est aussi au départ un film anti-commercial au possible : classé "X", austère, peu spectaculaire, glauque. Il faut avoir du cran pour se lancer dans un projet pareil. Fleischer qui a suivi des études de médecine et de psychologie (lire l'interview parue dans Positif de juin 2006) tenait sans doute énormément à ce projet. L'appartement très exigu du psychopathe fut fidèlement reconstitué en décors pour baigner le film dans une atmosphère d'enfermement. La rigueur de la mise en scène propre à Fleischer fait écho à celle du criminel, qui assassine en fonction d'un savant rituel, qui débute par une tasse de thé. La dernière scène, un gros plan et une respiration, est une belle allégorie sur les mystères de la psychologie humaine.