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Forum : Le Rouge et le noir

Sujet : Rouge ou Noir ?


De frydman chares, le 10 décembre 2007 à 10:26

Contrairement à la littérature ,le cinéma ne dévoile pas toujours les pensées secrètes des personnages. La voix off de Gérard Philippe comble cette lacune. C'est un arriviste , c'est sûr !!!

Quelle est la profession qui a le plus de prestige auprès des femmes ? Se demande-il. Quel est l'uniforme le plus séduisant. Celui rouge de l'armée ou noir de l'église ? L'évêque avec sa mitre et sa soutane rouge ne manque pas de prestige non plus !!! Et les femmes le regardent d'un air admiratif.

La vocation première des curés n'est sans doute pas de séduire les femmes…Il ont fait vœu de chasteté me semble-il…Qu'importe…D'ailleurs Stendhal qualifie notre jeune Héros de « jeune lévite » à plusieurs reprises…

A-t-il quand même la vocation de séminariste ? Il semble bien intégré dans le groupe mais se révèle un piètre orateur lorsque son supérieur lui demande de faire la lecture.


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De Impétueux, le 7 novembre 2010 à 15:44
Note du film : 5/6

C'est un film qui va de mieux en mieux, au fur et à mesure qu'il avance au long de ses trois bonnes heures divisées en deux époques (mais qui étaient projetées en continuité, avec un simple entracte). Cette durée permet à Autant-Lara et à ses deux habituels scénaristes et adaptateurs, Pierre Bost et Jean Aurenche de prendre leur temps, et de ne pas proposer un résumé trop concentré du roman de Stendhal, mais bien, au contraire, d'en restituer souplement toutes les péripéties.

Comme tout ce monde là est extrêmement intelligent, le récit fonctionne plutôt bien, et la gageure d'adapter au cinéma un des romans majeurs de la littérature occidentale sans en faire perdre le suc est réussie avec élégance. Si, du moins, on n'est pas trop exigeant sur les ramifications psychologiques extrêmes des personnages et si on se contente d'accepter avec bon esprit des évolutions de comportements que le livre dépeint avec une rare subtilité. (À dire vrai, je ne suis pas persuadé que des œuvres aussi denses que Le Rouge et le Noir – mais aussi La Chartreuse de Parme, À la recherche du Temps perdu ou Belle du Seigneur puissent être vraiment retranscrites au cinéma : tout au plus être évoquées…).

Si l'on passe, donc, au delà de la puissance absolue de l'esprit stendhalien et si l'on regarde le film comme une chronique historique toute empreinte de l'anarchisme ricanant et de l'anticléricalisme primaire de son auteur, Le Rouge et le Noir est excellent. La Société française de 1830 s'est refermée, après la longue parenthèse de la Révolution et de l'Empire. La vieille alliance du Roi et du Peuple contre les féodaux s'est oubliée au tournant du 18ème siècle et n'a pu se revivifier lors des États généraux de 1789 : en fin de compte, ce sont les féodaux qui ont gagné et vont définitivement l'emporter au cours du 19ème siècle : à la vieille aristocratie terrienne (tout au moins celle qui a survécu à l'échafaud) est venue s'agréger la classe nouvelle de la bourgeoisie triomphante, acheteurs de Biens nationaux, fournisseurs des armées de l'Empire, premiers investisseurs industriels. Mais le chamboulement de la société a durablement exalté des esprits ambitieux et arrivistes : la stabilité a vécu, reste l'envie.

Bon ; on connaît tout cela, et je ne vais pas raconter l'histoire de cette crapule de Julien Sorel, esprit d'une grande intelligence et d'une analogue bassesse d'âme, mu seulement par le mépris qu'il a des autres du fait même de sa capacité à les manipuler. Ni Stendhal, ni Autant-Lara n'ont la moindre indulgence pour ce petit jeune homme calculateur et retenu, incapable du moindre attachement qui, partout où il passe, entraîne dévastation et catastrophe (il y aurait un parallèle intéressant à monter avec Fabien, le régisseur révolté de Douce, du même cinéaste qui saccage tout, lui aussi, avec moins de séduction, mais sur les mêmes ressorts d'envie).

Le film souffre un peu de deux choses : d'abord un relatif manque de moyens financiers, qui a entraîné le décorateur attitré d'Autant-Lara, l'excellent Max Douy, à proposer, pour économiser quelques picaillons, une stylisation des décors qui, ici et là, fait un peu toc, un peu carton-pâte ; puis un usage un peu violent des tonalités qui fait songer quelquefois à un bariolage mal maîtrisé (les toilettes des femmes assistant au procès de Sorel, par exemple) ; il faut croire, d'ailleurs, que le réalisateur ne se sentait pas trop à l'aise dans la couleur : c'était là son premier film de l'espèce, et il reviendra au Noir et Blanc pour les meilleurs de ses films suivants, La traversée de Paris et En cas de malheur, notamment).

Le meilleur est dans la distribution.

J'ai assez dit un peu partout que je n'appréciais pas Gérard Philipe pour lui rendre ici un hommage, modéré seulement, par son âge apparent : Philipe a 32 ans, quand il tourne le film, et ça se voit un peu trop, alors que Julien a 24 ans lorsqu'il est exécuté ; mais ce reproche véniel fait, l'extrême séduction de ses traits un peu veules correspond particulièrement bien à un personnage narcissique, paranoïaque, profondément cynique (au moment où il va pénétrer chez Mme de Rénal pour en faire sa maîtresse : Il y a bien dans la ville trois ou quatre de ses amies que j'aimerais mieux… Jamais péché n'aura été commis avec moins de joie…).

Danielle Darrieux a 37 ans au moment du film ; on pourrait chipoter et penser qu'elle est bien trop belle pour incarner une femme qui, au début du 19ème siècle a atteint la Trentaine, c'est-à-dire est aux portes de l'irrémédiable flétrissure, mais elle dispose d'une telle puissance émotive pour représenter cette femme follement fascinée par la catastrophe où elle se jette que ça passe très bien : la scène si célèbre où Julien, à la nuit tombée, prend sa main sous la table montre son visage tour à tour saisi par la surprise, l'émoi, le bonheur, la crainte, la volupté… Du grand jeu !

Parfaite Mathilde, Antonella Lualdi, jeune fille exaltée, pleine d'esprit et pétillante d'intelligence, audacieuse, téméraire, altière, écervelée, masochiste ; pourquoi cette belle artiste n'a-t-elle pas fait une plus grande carrière ? C'est un bien grand mystère…

Les autres acteurs sont également excellents, en premier lieu Jean Martinelli qui incarne un Rénal à la fois puant de la morgue d'un nobliau de province et profondément attaché à sa femme et ses enfants, mais aussi Jean Mercure, marquis de La Môle, porteur de tout le raffinement de l'Ancien Régime et de l'amoralisme sceptique des années d'avant la Révolution…

L'édition DVD est fort bien restaurée, mais les suppléments sont plutôt décevants, faisant appel à des vieillards qui n'ont pas grand chose à dire que de très anecdotique et à un Jean Lacouture très décati, dont on se demande ce qu'il vient faire là…


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De Azurlys, le 17 novembre 2010 à 16:15

Je me glisse à nouveau dans DVDTOILE pour évoquer rapidement deux choses. Impétueux (plus haut), avait indiqué regretter les décors stylisés de Max Douy. A l'époque de la sortie du film, ce coté trop artificiel m'avais gêné, mais je suis d'un avis différent aujourd'hui. Il me semble au contraire que la simplification et cet aspect qui fait un peu penser à des décors de théâtre, mêmes "extérieurs" (façade des hôtels particuliers), servent le sujet, d'abord parce qu'il ramène vers l'essentiel, les personnages et les ambitions déçues de Sorel, et parce cela m'apparait plus proche de cet immense théâtre des apparences et attitudes dans une époque où les différences de classe étaient peut-être plus crues qu'aujourd'hui.

D'autre part, mais là on est dans l'anecdote, une version plus complête de ce film fut présentée dans les années soixante dix avec la mention "avec vingt minutes de scènes inédites avec Gérard Philipe". Un oeil averti pouvant entrevoir les "collages" rapportés sur un contretype qui a permis de réaliser une ou deux copies. Les scènes, rejetées au montage et montrées pour la première fois se situaient au séminaire. Je n'en ai qu'un souvenir très édulcoré, puisque je n'ai pu les voir qu'une fois. Quand j'ai appris le sortie de ce film en DVD, j'avais espéré une version complête, ou, à la rigueur, des suppléments qui en fassent état. Je n'ai pas encore le temps de voir l'ensemble, mais je doute qu'elles figurent dans le montage présenté. En Provence, avec un appareil un peu plus performant, j'ai pu voir des "bonus" sans grand intérêt. Et comme le dit si justement Impétueux, que diable le sinistre Jean Lacouture est-il venu faire dans cette aventure ? N'a-t-on que lui pour évoquer ce film ? J'y reviendrai, sans doute, après avoir tout vu de ce film finalement meilleur que le pouvait laisser entendre la volée de bois vert avec laquelle il fut reçu à sa sortie.

A l'intervention de Frydmann Chares, il est peut être bon d'indiqué que les "curés" ne font pas, sauf erreur, de vœux de chasteté, mais de célibat. Ce qui est sensiblement différent. Faut-il y voir une sage compréhension des hommes et des instincts dont ils ne sont pas toujours maître ? En revanche, je crois que c'est le vœu exprimé librement par les membres des ordres monastiques. Mais cet état de fait existe également dans le Boudhisme et l'Hindouisme. Bien ? Pas bien ? C'est comme l'on veut. Cela ouvre de la sorte des possibilités de changements de cible.


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De Gilou40, le 17 novembre 2010 à 18:14

il est peut être bon d'indiquer que les "curés" ne font pas, sauf erreur, voeux de chasteté, mais de célibat

Sensiblement différent (vraiment ?) ou pas, mon cher Azurlys, le jour ou le vatican se décidera à ne plus ignorer cette véritable empiété, l'Église grandira de façon probante (car elle a tant de progrès à faire !) dans le coeur de ses plus fidèles serviteurs et, de ce fait, nous aurons enfin des Pères qui n'auront plus à vivre avec, comme une chaine de galérien aux pieds, cette hérésie qui consiste à penser que le célibat permet un don de soi total à Dieu et à l'Église. Dieu est Amour et on ne parle que de ce que l'on connait bien, me semble t'il. Et, que je sache, seul l'Apôtre Jean a été unanimement reconnu vierge. Et si il a peut-être été l'Apôtre préféré du Christ ( le bien-aimé du Seigneur..), il y en avait quand même onze autres. Mais je digresse…


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De Impétueux, le 18 novembre 2010 à 13:22
Note du film : 5/6

Vous digressez pas mal, en effet, Gilou40 et sur un fil un peu parasite du film… Mais enfin, tant qu'on y est !

Le vœu de chasteté prononcé par les moines n'est pas de même nature que l'engagement de célibat des prêtres. Le lien n'est pas de même nature.

Ce qui, dût votre démesurée indignation s'en rassurer, peut ouvrir des perspectives à ce que vous paraissez appeler de toute votre espérance : le mariage des prêtres (à l'heure où seuls les homos revendiquent ce droit et où une union sur deux s'achève par un divorce, c'est du propre !!).

Plus sérieusement, moi qui – la place m'est peu contestée ! – représente ici en général le point de vue de l'Église catholique romaine, je dois dire n'avoir pas de réticence de principe à ces unions : nombre de branches du catholicisme oriental les autorisent, et les Anglicans qui viennent, au nombre de 200 (il me semble) d'être intégrés à Rome sont restés mariés. En tout cas le célibat des prêtres n'est pas cause théologique de même nature que l'indissolubilité du mariage, et, évidemment, le respect de la vie dès la conception.

Nous sommes tellement loin à ce niveau du Rouge et le Noir – qui est une histoire de Pouvoir et non de Foi que je m'interroge sur l'intérêt de conserver ces échanges…

il est évident que Sorel serait trader aujourd'hui, qu'il aurait fait partie de la Guépéou aux temps du communisme triomphant, et de la franc-Maçonnerie sous la IIIème République-cassoulet…


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De Arca1943, le 18 novembre 2010 à 14:27

Ah oui, mais si l'Église catholique autorise le mariage des prêtres, ça risque d'être excellent pour son image. Du coup, je me demande si je suis pour, en fin de compte…


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De Gilou40, le 18 novembre 2010 à 15:54

"démesurée" indignation  ?? Vous semblez poser des limites, Monsieur, dans un domaine qui n'en a pas… Mais si les prêtres descendaient dans la rue pour crier leurs infortunes et leurs souffrances, je serai moins indignée que quand j'y vois des gamins pubères et incultes y manifester pour leurs retraites ! Je ne suis pas "indignée", Monsieur, je voulais évoquer une colère que les intéréssés ne peuvent faire entendre sous peine de sanctions. Et le bienvenu Azurlys me tend la perche. Cela étant, oui, je,nous nous éloignons de trop.


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De Impétueux, le 19 novembre 2010 à 10:44
Note du film : 5/6

Oh là là, cette démesurée indignation était narquoise et ne se voulait pas polémique, ni méchante…

La désaffection des ordinations, qui touche l'Occident, et l'Occident seulement – l'Afrique est une fontaine de prêtres, par exemple – ne me semble pas due à l'obligation du célibat : les prêtres que je connais la supportent très bien. Mais c'est bien davantage la sécularisation de la société, la diminution de leur nombre (c'est-à-dire la solitude) qui en est cause (déjà aux temps du Journal d'un curé de campagne). Si la vanne était ouverte, ce qui, je le répète, ne me choquerait pas particulièrement, croyez-vous qu'il y aurait tant de femmes que ça pour se jeter sur des mecs qui gagnent 950 euros (logés, chauffés, d'accord, mais enfin il y a plus rémunérateur) qui sont, au mieux, ignorés avec bienveillance, au pire suspectés de pédophilie dès qu'ils approchent des enfants… ?

La question est ailleurs. Et pour revenir sur Le Rouge et le Noir, dont nous n'aurions jamais dû sortir , qui ne voit que c'est la lutte pour sortir d'une condition qui est la trame ? C'est la prêtrise aux temps de la Restauration : ça n'a vraiment rien à voir avec le mariage des prêtres ; car Julien, d'abord, couche avec Mme de Rénal, une femme mariée, , puis séduit et suborne Mlle de La Môle, une jeune fille qui n'est pas du tout de son milieu. Retirez la prêtrise, ça ne change rien au fond de l'affaire…


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De Azurlys, le 19 novembre 2010 à 13:40

Merci de vos réponses, toutes, hélas, éloignées du film de Claude Autant-Lara. Mon second message s'adressait à Frydmann-Charles, et rectifiait cette permanente confusion de la chasteté des prêtres, le plus souvent ironique quand ce ne frise pas la trivialité. Il suffit de s'égarer dans les émissions TV sous la houlette de meneurs de jeu sarcastiques et ricanants sur tout ce qui ne leur convient pas. Que l'on se rassure, mes compétences en la matière sont limitées, et je suis éloigné de tout cela, y compris de la chasteté…

Notez cependant la croustillante et impayable métaphore – de type freudien – de Gilou qui indique (je cite) "Le bienvenu (merci !) Azurlys me tend la perche…" . Grivoiserie ? Non, mais freudisme involontaire, sûrement. N'y voyez qu'un clin d'œil !Mais tout de même… cachons cette phrase que nous ne saurions lire…

Je laisse à Impétueux qui veille avec soin aux destinés de DVDT, le soin d'écarter ce poulet s'il le juge inconvenant. Il a carte blanche.


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De Gilou40, le 19 novembre 2010 à 16:03

Je vous jure bien, croustillant Azurlys, que ma phrase était plus centrée sur le bienvenu que sur la perche. Mais heureusement que Freud est là, qui a absous tant d'esprits très Gaulois…

Impétueux : on ne "pollue pas" et on ne "polémique pas" ! On cause. Et pour en terminer, si vous avez rencontré des prêtres qui s'accommodaient de leurs célibats, j'en ai connu d'autres qui en souffraient vraiment. A un tel point que Freud n'avez rien à faire dans certaines de leurs déclarations. Lesquelles n'émanaient d'aucune salacité, mais d'une très profonde solitude. Et ils ne demandaient pas qu'une femme se jette sur eux et ce quelque soient leurs conditions, mais aspiraient, presque violemment, à un bonheur des plus humains..

Allez ! On ferme !


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De Azurlys, le 23 novembre 2010 à 13:12

Bien trouvé, Gilou (40 ?), le nouveau message. Freud est venu à la rescousse pour donner une allure culturelle – qui n'a sûrement trompé personne – à mon apostrophe précédente, et votre remarque sur la sauce qui fait passer le poisson est exacte, même s'il convenait de la nuancer. J'avoue ! J'ai fait un parcours du coté freudien pendant cinq ans. Je n'en serai que mieux encore pardonné (enfin, j'espère) ! Mais il est aussi exact que des interventions en psychothérapie ou psychanalyse – dont on pense par ailleurs ce que l'on veut – où surgissent des propos semblables à celui, pittoresque, qui fut le vôtre, ou quelque autre orientation, sont très souvent révélatrices d'éléments toujours inconscients. Il convient alors d'en tenir compte. Là, l'occasion était trop belle, et je me suis jeté dessus comme la pauvreté sur le monde ! Mais le coté clin d'oeil ne vous aura pas échappé !

De plus, on peut ajouter que papa Freud s'est largement inspiré des travaux de Jannet, et soutenait que la psychanalyse était une découverte de Breuer. Toute la littérature du XIXme siècle abordait déjà le sujet : Mary Schelley (Frankenstein), R.L.Stevenson (Dr.Jekyll et M.Hyde), Oscar Wilde (Le portrait de Dorian Grey), G. de Maupassant (le Horla), l'apparence sans tache et le double sombre ou monstreux. Mais rendons à César… et j'ajoute pour clore cette intervention inutile (Impétueux va tempêter, je le crains…) qui si le bon docteur viennois savait d'un cigare s'avérait être un symbole phallique, il ajoutait aussi "qu'il pouvait n'être aussi qu'un cigare !". Rendons lui cette justice.

Le ROUGE ET LE NOIR, dans tout cela ?… Je vais y revenir après l'avoir revu.


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De Azurlys, le 6 juin 2011 à 16:09

LE ROUGE ET LE NOIR (Claude Autant-lara, 1954)

Après une reprise de contact avec ce film dont le souvenir s'effacait de mon esprit, je constate y avoir pris grand plaisir. S'il se trouvait que quelque participant de ce site fut hésitant, je le dis tout cru : ce serait injuste. De toutes évidence, comme dans toutes les adaptations, la simplification est la règle, sinon l'on risque de s'égarer dans l'accessoire en noyant l'essentiel. Michel CIMENT, ex-colaborateur du "Masque et la Plume" que je n'écoute plus depuis un siècle ou deux, disait volontiers qu'il y a deux oeuvres, le livre et le film, et que l'on a tord de vouloir comparer l'un à l'autre… Oui, évidemment, il y a une part de vrai, mais l'adaptation suppose le respect de l'oeuvre originale, au moins dans son esprit. C'est enfoncer une porte ouverte que souligner les modes de narration systématiquement différents. La littérature, elle-même constituée d'art – la formulation des phrases, le sens du rythme – alors que le cinéma implique une contruction dramatique ce qui conduit le sujet à passer de la litterature à une manière de théâtre sur écran, puisque le mode de traduction devient le jeu des comédiens. Le texte n'est plus celui de l'auteur initial, ou si peu, le montage indispensable sait où il faut couper un plan – parfois au photogramme près – et la mise en scène s'écarte enfin de l'imaginaire qui est seul en cause lors de la lecture. Cela n'évite pas les erreurs, les échecs. Mais force est de constater que l'on a bien affaire à deux choses très différentes. Michel CIMENT appuyait de trop, peut-être, mais était sans doute dans le vrai.

Pour le revenir à Julien Sorel, ce petit ambitieux qui est près à tout épouser, l'Eglise ou les femmes, selon, du moment que ces ambitions soient comblées. Mais après une incursion incomplête au séminaire, il gagne le monde où il va se faire les dents. Disons-le : il va faire son chemin d'abord dans les ruelles, puis dans la couche de l'elue du moment. Il est plaisant que sa séduction fasse tourner les têtes des unes et des autres, et ici, de Mme de Rênal à Mathilde de La Môle. Il est vrai que le diable est toujours le tentateur, et la période louis-philipparde s'y prêtait d'autant mieux que la bourgeoisie triomphait alors l'aristocracie "à ancêtres", comme disait joliment Henri Jeanson, s'essayait aux affaires, sans avoir consenti à poser ses perruques. Vaste théâtre qui ne pouvait que séduire Sorel. Ici, ces dames corsettées dans des traditions n'attendaient qu'un Sorel pour s'épanouir. Mme de Rênal s'émeut brutalement devant la présence incongrue de Julien qui a profité de son sommeil pour entrer dans sa chambre. Mais dans l'instant suivant, la tentation de briser les tabous est la plus forte, même s'il elle se repend – déjà – de son incartade, à genoux devant celui qui la pousse vers l'irréparable. Une jolie scène, qui suit cette "entrée dans le monde", si l'on peut dire ainsi, conforte cette idée et mérite qu'on la souligne. J'y vais.


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De Azurlys, le 6 juin 2011 à 17:00

SUITE

Alors qu'elle s'offre au loup, quelqu'un frappe à porte. Le mari s'inquiète. Mme de Rênal ouvre, encore épouvantée. "Pourquoi avez-vous fermé le verrou ?" (je cite de mémoire) "Dans la nuit, j'ai eu un peu peur", répond la pécheresse. "Il fallait appeler", rétorque l'époux. Le visage soudain apaisé, sa femme répond "Oui, mais quelques instants après je n'avais plus peur" ! Ah ! Qu'en termes galants… Il a fallu deux toutes petites phrases de trois mots pour faire passer cette idée : l'aveu de l'adultère fait avec tant de sérénité que la faute en semble disparue ! Le malheureux époux en ignore tout et repart apaisé ! Entre temps, l'angoisse de la tentation, l'envol de la passion, quelque chose qui ressemble ensuite à une révélation (vous pensez ! Un petit prêtre, fils de charpentier…) l'extase et l'apaisement… Toutes les étapes d'une révélation au nez et à la barbe de M.de Rênal qui découvrira son infortune plus tard. L'habileté des dialoguites AURENCHE et BOST (comme l'on disait Roux et Combaluzier) est contenu dans ces quelques mots. Saluons les artistes.

Plus tard, chez le Marquis de La Môle dont la morgue est concentrée dans une politesse tellement appuyée quelle en devient criante. Le prêtre qui accompagne Julien Sorel l'en avise :" C'est ainsi, Sorel, leur mépris est dissimulé derrière la politesse. Si vous êtes sot, il ne faudra pas vous y laisser prendre… Mais pour réussir, il FAUDRA vous y laisser prendre…". Mathilde, un peu pimbêche, ne s'y trompe pas non plus, elle joue avec les sentiments du jeune secrétaire, se moque, et dès qu'un geste au bord du désastre le pousse à faire mine de la tuer, le doute n'est plus permis : il l'aime, pense-t-elle. Et ce qui devait se passer à lieu. Là, sous les perruques encore poudrées, la colère du marquis est terrible. Et une lettre compromettante de Mme de Rênal sera le grain de sable dans une horlogerie trop bien huilée. Il semble que Claude Autant-Lara ait cru devoir ôter la dernière scène où Mathilde emporte avec elle la tête de son amant décapité pour l'enterrer. forte scène, pourtant, aux portes de l'irrationnel qu'il ne fallait peut-être pas montrer en 1954, sans doute.

Au reste une belle adaptation, un Gérard PHILIPE étonnant, deux comédiennes sans faille, Danièle DARRIEUX et Antonella LUALDI, magnifique l'une et l'autre, Antoine BALPETRE, excellent acteur dans le personnage du père spirituel de Julien, et une décoration sans faille, des décors stylisés qui servent le propos. Bref à voir et à revoir, ne serait-ce que pour la maîrise de la mise en scène, et une partition importante et riche de René CLOEREC. J'ai déjà envie de le revoir…


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De Azurlys, le 9 juin 2011 à 15:43

Je viens de lire, avec trop de retard, l'intervention d'Impétueux de Nov 2010. Il est vrai que j'ai découvert cette version DVD du film d'AUTANT-LARA il y a quelques mois seulement, alors qu'elle était sortie l'an dernier.

Bien entendu – et bien lu – Impétueux brosse un portrait très juste de ce film. Je n'avais pas mentionné Jean MERCURE (le marquis de La Môle) en partie parce que l'espace impartis aux textes étant parfois réduit, alors que je peine beaucoup à resserer les miens – mea culpa – m'avait invité à une découpe d'un texte en deux parties (dont l'une a été expédiée deux fois, mais une bonne âme a bien voulu faire disparaître l'importune. Qu'il en soit remercié). Du coup, quelques comédiens ont été oubliés, et il faut aussi saluer Jean MERCURE, excellent marquis de La Môle écrasant de politesse qui ne trompe pas le prêtre (son nom m'échappe, mais peut-être l'Abbé Pierrard, Antoine BALPETRE) qui fait entrer l'ambitieux Sorel dans "le monde", encore que celui-ci avait déjà beaucoup changé depuis la prise de la Bastille. Le frère de Mathilde – comédien Italien, peut-être mal doublé en Français – bellâtre infatué de ce qu'il n'est pas, et croit être, ne me semble pas très bon. Son personnage n'y prêtait peut-être pas. Mathilde de La Môle est joué avec beaucoup de maîtrise par Antonella LUALDI, et dont le ton moqueur cache le sentiment des menaces qui pèsent sur la classe nobiliaire a laquelle elle appartient. Je la trouve étonnante de maîtrise dans son personnage vif, un doigt ironique et un tantinet pimbêche. Darrieux – Mme de Rênal – est toute émoustillée par la présence de Julien dans sa chambre, à la fois terrifiée et satisfaite de sa propre audace. Lorsque le mari frappe à la porte, il est étonnant de voir ses gestes qui cachent l'intrus à l'arrière d'un rideau, ses vêtements, les quelques objets qui ne pouvaient manquer d'être compromettants, et l'attitude très calme avec laquelle elle fait l'aveu inconscient d'une faute qui ne pouvait avoir de pardon : c'était violer les règles strictes de la société et la morale chrétienne, desquelles il arrivait que l'on puisse s'évader. Ce fut le cas ce soir là ! Cette scène dans la chambre est finalement étrange. Allons osons le mot. Cela fait penser à une situation de vaudeville, l'amant dans le placard, avec ses vêtement sous le bras, alors que jaillit le mari. Mais le brio des comédiens rehausse le sujet très au dessus d'une gaudriole, évidemment.

Les décors stylisés qui semblent géner Impétueux, m'avaient conduit à cette même impression lors de la sortie du film. Aujourd'hui, je suis radicalement de l'avis contraire. Le style toile peinte, qui ramène à des esthétiques de théâtre, dégagent clairement le thème central, l'arrivisme et l'exécution du héros qui n'en surgissent que mieux. Il semble que Jean Lacouture ait écrit un "Stendhal" en 2004. Sa sollicitation dans les suppléments devait paraître indispensable. On pouvait penser autrement ! A noter au chapître des anecdotes que Jean MERCURE, et sont épouse JANDELINE qui dirigeaient le Théâtre Sarah Bernardt, devenu Théâtre de la ville, ce sont suicidés de concert il y une vingtaine d'années.


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De Azurlys, le 11 juillet 2011 à 16:00

Le ROUGE ET LE NOIR (1954)

Au texte concis et complet d'Impétueux, je souhaitais faire rapidement référence quant aux décors stylisés adoptés dans le Film d'Autant-Lara pour des raisons avouées comme économiques. C'est sûrement vrai. Impétueux, nous l'avons vu, n'aime pas. Pour ma part je trouve que ce dispositif adopté pour des motifs éloignés de tous soucis esthétiques aboutit à une réussite qui souligne la narration dramatique, la progression insistante du personnage central, en allégeant l'importance décorative. D'ailleurs, une courte note d'Impétueux semble confirmer cet état de chose et l'appuie involontairement par une manière de contradiction. Il s'agit de la scène du tribunal, au tout début du film, ou l'on avait conservé le parti du naturalisme. Les images larges, les plans généraux sont finalement moins lisibles que s'ils avaient été traités de la façon stylisée adoptée pour le développement du récit. Impétueux parle de bariolage. C'est vrai, et c'est également souligné par la script du film. Elle explique que la couleur encore mal maîtrisée faisait ressortir la teinte trop appuyée de telle robe ou tel chapeau des figurants. La remarque est on ne peut plus juste. C'est la démonstration de ce que je disais. Encore que l'influence affaiblie des décors par la stylisation permettait au récit et à la narration de mieux s'épanouir.

On peut penser qu'avec des décors réalistes les situations, le jeu des comédiens, eussent été un peu étouffés. C'est une démonstration par l'absurde, mais qui me semble exacte.

Souvenons-nous du parti adopté par les auteurs des "Rois Maudits" de 1974, avec un Jean Piat exceptionnel dans le personnage de Robert d'Artois. Là, le choix volontaire de décors stylisés de façon fort habile a permis, là aussi, une perception plus aisée du récit, il est vrai pour un petit écran de TV, dont l'analyse optique est moins simple que sur l'écran d'une salle. L'idée était très intéressante : les décors, suggérés plus que réels, avaient été peints sur les tulles tendus, et esquissaient les fonds, les lumières, des éléments d'architecture gothique, de rayons de soleil qui se glissaient entre deux piliers, eux-mêmes suggérés et complétés, ici ou là, par des crédences, des cathèdres, des chaises droites. Là, les personnages, soutenus par des comédiens de talents se percevaient mieux, ô combien, que si l'on avait eu recours aux décors réalistes.

Un dernier point relatifs au erreurs de la script. Dans "Le Rouge et le Noir", lorsque au tout début, Sorel arrive chez M.etMme de Rênal, on le mène à sa chambre "à l'étage des maîtres", comme le souligne M.de Rênal, une poterie ou un vase vide orne le petit meuble qui se trouve sur la droite du décor, juste devant la porte de la chambre. Dans le contre-champs qui suit, depuis l'intérieur de la chambre, un joli bouquet de fleurs, des marguerites, je crois, trône dans le vase posé sur le meuble, à l'arrière plan ! Toute cela n'est pas bien grave et tellement courant. Ces maladresses ont des cotés piquants, sans conséquences pour l'intérêt des films…


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De Impétueux, le 11 juillet 2011 à 19:02
Note du film : 5/6

Je saisis bien ce que vous voulez dire, Azurlys et je conçois qu'on puisse se satisfaire de décors stylisés, mais lorsque ces décors le sont par parti-pris et non par défaut.

Vous citez, à très juste titre les admirables Rois maudits ; souvenez-vous que cette longue suite télévisée commence comme une sorte de parade théâtralisée où les personnages sont présentés ab initio de façon rapide, volontairement sommaire, archétypale ; j'imagine que les Mystères médiévaux devaient donner un peu cette impression.

Mais on peut aussi, plus curieusement, situer cela en des temps contemporains : je recommande à votre curiosité (à votre curiosité seulement !! pas forcément à votre approbation, et moins encore à votre admiration !) un curieux film hollandais (et oui, ça existe !) de Alex van Warmerdam qui s'appelle Les habitants ; et il y a également Dogville de Lars von Trier, qui n'est pas vraiment de mon goût, mais qui s'empare aussi de cette puissance du schématique.

Seulement, dans Le Rouge et le Noir, la sécheresse des décors me semble par trop miteuse ; elle n'est pas volontairement appauvrie : elle est pauvre par défaut…

Ah ! quelque chose qui s'accommode fort bien de ce dénuement, c'est la prison où Mme de Rénal vient visiter Julien : il y a là, emprisonné comme Sorel, un colosse Antillais qui fredonne a capella la mélodie triste Adieu foulards, adieu madras. Rien n'est aussi incongru, rien ne va si bien…


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De Azurlys, le 12 juillet 2011 à 13:56

LE ROUGE ET LE NOIR.

Merci de votre réponse. Votre remarque est exacte, mais je ne suis pas sûr que cela modifie les choses en profondeur. Après tout, un dépouillement volontaire n'ouvre pas nécessairement sur une réussite esthétique. Je puis me tromper, mais je n'arrive pas à rejeter ces décors stylisés, et par conséquent simplifiés, qui m'avaient pourtant beaucoup géné à la sortie du film. J'ai le sentiment que les exigences financières qui sont à l'origine de ce choix, forcé, dit-on, me semblent bien ne pas avoir affaiblies les intentions du cinéaste. Ces décors dégagent l'image et laissent libres ainsi les comportements, les ambitions de Sorel, les réactions des autres protagonistes, avec plus d'aisance que s'ils avaient été cloîtrés dans des décors réalistes, peut-être trop chargés.

Mais en relisant ce que j'avais écris, j'y ai trouvé trop de confusion en dépît des quatre ou cinq relectures effectuée avant de valider, pour ne pas avoir envie d'éclairer mon propos. Je me demande si mon sentiment ne mêle pas d'instinct l'aspect esthétique, et des éléments techniques et optiques qui éclairent mieux ma pensée. C'est évoqué avec pertinence dans votre remarque justifiée sur le "bariolage" des figurants dans la toute première séquence, au tribunal. La confusion de l'image reste bien la conséquence de la foule, et la couleur des costumes contribuent à ce brouillage de l'information. Les décors réalistes et imposants ajoutent à cette confusion. Le noir et blanc et, en l'occurence, une meilleure maîtrise de la couleur – l'Easmancolor de l'époque était assez saturé – auraient atténué cet effet. Mais la foule, les décors réels et chargés, les plans larges, ne pouvaient que contribuer à ce brouillage. Autrement dit, la perception amoindrie des séquences d'ouverture, quelqu'en soient les causes, n'aurait-elle pas rendu la stylisation – fût-elle obligée pour des motifs pécuniaires – nécessaire et utile au récit ? C'est un peu mon sentiment.

Vous avez parlé avec beaucoup de fougue et de lyrisme des "Rois Maudits" qui a été l'une des plus belles réalisations de la télévision. En dépît de ces trente ans au moins, l'oeuvre revue il y a deux ans environ (sur du VHS), même si quelques lenteurs se font sentir, demeure un spectacle extraodinaire, laisse loin derrière la médiocre adaptation récente, encombrée par les décors de Philippe Druet audacieux sans atteindre au bon goût. S'il convient de ne pas s'y attarder, ce pourrait être une illustration de ce qui précède.

Merci de votre réponse et de votre pertinence.


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De vincentp, le 4 août 2013 à 08:36
Note du film : 5/6

5,1/6. C'est un film intéressant, réussi, très bonne adaptation de l'oeuvre de Stendhal. Sur le plan des idées, on trouve bien évidemment de la matière pour réfléchir sur un nombre de sujet considérable : classes sociales, ambition, passion, … Le descriptif de l’évêque, beau-parleur, mais absolument pas concerné par son sujet religieux, plus par sa posture sociale, est un grand moment. Il ne connait pas grand-chose à son sujet et fait le beau ! Je me suis mis à imaginer certaines de mes connaissances sous ses traits… Des instants très réussis d'autant que Julien Sorel se met à rêver d'être à sa place… Succulent ! J'ai apprécié aussi nombre de scènes réussies : entre autres, celle ou Philippe prend la main de Darrieux : choix des plans et voix-off judicieux…

Ce film passe vite ce qui est une marque de la qualité de sa mise en scène. Le chapitrage du récit, avec des citations littéraires en carton d'introduction, est une idée brillante, parfaitement conduite de bout en bout.

Le reproche que l'on peut adresser à cette oeuvre est peut-être son aspect un peu trop académique : tout y est relativement conventionnel, un peu trop propret. Ce type de cinéma ("qualité à la française" ?) montre sans doute ses limites et ne pouvait pas continuer à vivre son existence de la sorte indéfiniment…

Le jeu de Gerard Philipe me parait en revanche très moderne, encore aujourd'hui. Comme celui de Gabin dans les années -30. Une part importante de la réussite des films français des années trente à cinquante leur sont redevables.

La servante Elisa est un personnage bien interprété. M de Rénal l'est moins à mon avis (l'acteur en fait peut-être trop, et réalise une caricature trop appuyée du notable local). Danielle Darrieux compose très bien la bourgeoise française et ressemble énormément à l'écran à la future Catherine Deneuve. Le marquis et sa fille, les membres du clergé sont des personnages très bien traités et interprétés.

Les décors assez sobres mettent effectivement en valeur la narration dramatique de Le rouge et le noir.

C'est un film à voir, adaptation très classique d'un classique de la littérature française.


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